Management collégial d’une direction : les 10 trucs que je retiens

Management collégial d’une direction :
les 10 trucs que je retiens

Cette série d’articles avait pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.

Dans les épisodes précédents, je vous ai raconté nos différentes étapes. Et au bout de deux ans, mon équipe de N-1 pilotait effectivement la direction sans moi ou presque. Aujourd’hui dernier épisode : voici ce que je retiens de cette expérience.

#1 – A la base, un terreau fertile

Est-ce que ce mode de fonctionnement est reproductible partout ? Je ne sais pas. Je sais par contre qu’il était adapté au terrain de départ avec :

  • Des N-1 en maîtrise de leurs postes, qui avaient donc la disponibilité d’esprit de s’intéresser à plus grand que leur propre département.
  • Un manager prêt à laisser de la place, voire sa place.
  • Un N+1 et un N+2 ouverts aux nouveaux modes de management.

Ces éléments ne sont peut-être pas tous indispensables, mais, en tout cas, je me dis que ça vaut le coup de les regarder.

#2 – Au final, un système simple mais organisé

L’organisation finale était un collège de pilotage constitué de mes N-1 et d’une personne transverse, fonctionnant avec des méthodes et des principes tirés de l’agilité :

  • Une vision à 9 mois et des objectifs à 3 mois.
  • Un board de suivi de ses objectifs, animé collégialement.
  • Un espace-temps de 3h par semaine pour s’échanger les informations utiles et travailler ensemble.
  • Des rétrospectives tous les trois mois pour faire le bilan de notre manière de fonctionner et nous améliorer.

Dis comme ça, cela parait tout simple… C’est vrai. Mais c’était aussi très organisé. La chance que nous avions était de maîtriser ces méthodologies et leurs principes sous-jacents, et de pouvoir les utiliser de manière fluide.

#3 – Investir dans l’équipe

Le développement de l’équipe elle-même a compté autant que l’organisation. Au départ les membres de l’équipe s’entendaient heureusement bien, mais ils ne travaillaient pas vraiment ensemble.

Il a donc fallu définir des sujets communs, pour qu’ils développent leur propre mode de travail collaboratif.

Il a aussi fallu profiter de chaque sujet pour demander l’avis de chacun, même si cela ne concernait pas son périmètre, afin de créer une dynamique collective. Le tout évidemment en toute bienveillance et avec le respect des opinions divergentes.

Tout cela a permis de passer des bonnes relations à la confiance, incluant la permission de donner son avis et de le recevoir.

#4 – L’information c’est capital

En commençant, je ne me rendais pas compte de la masse d’information que j’avais et qu’ils n’avaient pas. Et c’était cette information qui me permettait de comprendre et de décider. Au début, j’ai donc passé beaucoup de temps à communiquer, avant même de mettre en place la délégation.

Puis, avec la délégation et la décentralisation des points de contact, ils ont eu chacun accès à de l’information. Le partage efficace de ces informations est devenu une de nos préoccupations, en temps réel et lors de nos séances de travail hebdomadaire.

#5 – Mon équipe, mes valeurs, mes règles

Ce titre pourrait paraitre dictatorial, mais c’est pour moi la base de la délégation. Car la délégation n’empêche pas ma responsabilité d’être engagée. J’avais donc besoin d’être rassurée sur le fait qu’ils allaient respecter certains points importants pour moi.

Il ne s’agissait pas d’avoir beaucoup de règles, ni qu’elles soient précises sur comment faire les choses, mais plutôt de partager des principes et valeurs communes. Avec ça, j’avais ensuite entièrement confiance. Et peut-être cela a aussi servi à mes N-1 de sécurité pour avancer.

Ces principes ont ensuite été enrichis par le groupe, comme une sorte de culture collective qui a évolué progressivement.

#6 – Une légitimité et un réseau à transférer

Dans la délégation, j’avais à peu près en tête les éléments factuels qu’il fallait que je transfère, tels que la connaissance de certains process. J’avais par contre moins anticipé les éléments moins tangibles que sont la légitimité et le réseau, principalement sur ce qui concernait les relations du groupe vers l’extérieur à la direction.

Avec le recul, je dirais qu’il a fallu des actions de ma part au bon moment, avec les annonces officielles aux bonnes personnes, et les présentations et le binômage au début. Et surtout beaucoup de volontarisme et de temps investi de la part de ceux qui récupéraient les sujets pour recréer les relations.

#7 – Des animateurs et des participants

Avec le temps, il est apparu que tout le monde n’avait pas le même investissement au même moment. Cela dépendait principalement des sujets et de l’état de leur propre département. Quand c’est la crise chez soi, forcément on n’a moins le temps pour le reste.

Et le groupe s’est là-aussi adapté. Il y avait au final des « animateurs » et des « participants ». Ils discutaient de leurs disponibilités sur les 3 mois suivants pour savoir qui allait être dans le groupe d’animation et qui allait être uniquement participants.

#8 – Un système résilient

Le système précédent ne pouvait pas reposer sur une seule personne en termes de charge. Mes N-1 ont bien sur récupéré une partie de cette charge, mais celle-ci était adaptable sur l’ensemble du groupe en fonction des disponibilités de chacun.

De plus, avec cette organisation, la direction n’était plus dépendante d’une personne. Elle pouvait tourner et s’améliorer sans ma présence, et sans forcément la présence de tout le groupe.

Cela a aussi permis de réduire les silos même si chacun a gardé son département. Nous avons désiloté là ou il y avait un intérêt : pour être plus agile dans la création de nos nouvelles équipes ou pour offrir à nos collaborateurs des mobilités plus facilement.

A plus long terme cela a aussi permis de gérer certains transferts de domaines plus facilement, car le monde de l’autre n’était pas totalement inconnu et peut être moins différent.

#9 – Il y a des choses que je n’ai jamais déléguées

Parce que nous n’avons pas eu le temps ? Parce que certains sujets ne se délèguent pas ? Parce que déjà c’était pas mal ? Sûrement un peu de tout ça…

J’ai donc conservé les sujets stratégiques liés à la politique du grand groupe dans laquelle nous étions. Là, pour le coup, cela me semblait très compliqué de transmettre la légitimité et le réseau.

Il y avait aussi les sujets concernant l’entreprise dans son ensemble, qui étaient traités avec le comité de direction. On pourrait dire que j’ai délégué ma casquette de directrice d’une entité, mais pas mon rôle de membre du groupe de direction.

#10 – Et les mauvais côtés ?

Est ce qu’il y avait des mauvais côtés ? Sûrement le temps passé à partager et décider. Mais finalement c’était souvent du temps de perdu pour en gagner plus tard. Par exemple partager ensemble sur les compétences de nos collaborateurs nous a permis de lancer un projet urgent beaucoup plus rapidement.

Et plus globalement sur le sujet de l’efficacité collective, c’était un vrai sujet et nous nous sommes beaucoup améliorés au fil du temps :-).

Le mot de la fin

Ici se clôture cette série d’articles, j’espère que vous en retirerez deux ou trois choses intéressantes pour vous. Pour ma part, ce fut une belle aventure humaine et organisationnelle, et je suis très contente de l’avoir vécue 🙂 .

Pour finir je voudrais ici remercier mes anciens N-1 qui se sont lancés dans cette aventure avec moi, mon chef qui m’a permis de le faire, mes collègues membres du codir qui ont accepté cette nouveauté sans juger, les équipes transverses qui se sont adaptées à ce nouveau système, les coachs agiles qui nous ont aidé dans nos réflexions et dans nos améliorations, et plus globalement feu VSCT, qui était quand même un cadre idéal pour travailler.

Si vous voulez retrouver les détails c’est ici :

  • Episode 1: Créer le groupe, ses informations communes et ses valeurs.
  • Episode 2: Tester la délégation en 1 à 1.
  • Episode 3: Améliorer les compétences de chacun, son réseau et sa légitimité.
  • Episode 4: Mettre en place une organisation collégiale avec des principes et méthodes agiles.
Management collégial d’une direction,épisode 4 : une équipe agile de management

Management collégial d’une direction,
épisode 4 : une équipe agile de management

Cette série d’articles a pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.

Dans les épisodes précédents… « Après un an de reprise de la direction, mes N-1 et moi-même avions nos piliers communs. Mais cette organisation collaborative me demandait trop d’énergie et ne reposait que sur moi. Nous avons alors testé un binôme par thématique transverse, en améliorant leurs compétences pratiques ainsi que leur légitimité et le réseau. Au final cela fonctionnait, mais au lieu des binômes nous avions une seule personne en charge, et chaque thématique était devenue un silo à elle toute seule…»

Nous aurions pu en rester là, avec une délégation de certains sujets à des personnes précises. Mais le système n’aurait pas fonctionné sans moi pour faire le liant. Et avec ma prochaine étape professionnelle, j’allais être de moins en moins présente. Cette situation a déclenché chez mes N-1 une prise de conscience : Il fallait qu’ils s’organisent ensemble.

Une proposition venant du groupe

Dire que tout le groupe était moteur pour proposer quelque chose serait surement exagéré. Disons que deux personnes étaient motivées à proposer quelque chose, quatre à y participer, et deux à suivre si vraiment il le fallait. On retrouve finalement une courbe classique de changement, avec les moteurs, la majorité silencieuse et les plus difficiles. La différence était que le groupe était suffisamment constitué pour que la majorité veuille quand même participer à la réflexion, et que les difficiles ne freinent pas l’initiative. Parce que la confiance au sein du groupe était là.

Donc ils ont réfléchi sans moi. Je leur ai bien sur demandé s’ils voulaient que je participe aux réflexions, mais non. De mon côté cela m’allait aussi, car ils avaient suffisamment expérimenté pour savoir de quoi ils parlaient. Ils avaient donc toute ma confiance.

Un collège de management avec les principes d’une équipe agile

Leur proposition a été d’appliquer les principes d’une équipe agile à eux même et d’en fait un collège de pilotage. C’était à la fois simple et nouveau. Simple parce que nous connaissions par cœur les méthodes et principes d’une équipe agile. Nouveau parce que nous ne les avions encore jamais appliqués à une équipe de management.

Je ne vous ferai pas ici un cours sur l’agilité, et je ne rentrerai pas non plus dans les débats philosophiques de ce que c’est. Nous ne voulions de toute façon pas appliquer quelque chose « by the book», mais prendre des principes et méthodes qui nous semblaient pertinents dans notre situation. En pratique, nous sommes principalement appuyés sur la méthodologie scrum.

Scrum pour les équipes de delivery

Aurions-nous pu choisir d’autres méthodologies ? Bien sûr. Mais le but n’était pas de trouver LA meilleure solution, mais une solution acceptable et applicable qui nous fasse progresser dans le bon sens. C’est ainsi que nous avons commencé à appliquer le premier principe agile : essayer, inspecter, s’améliorer.

La définition de nos objectifs

Un autre principe que nous avons pris est de ne pas vouloir tout faire dès le début, mais de nous concentrer sur une partie et de bien la faire. Le collège a donc commencé par sélectionner les sujets qu’il allait prendre en premier (recrutement, formations, animation de la direction…). J’ai gardé les autres, peut être plus complexes au niveau relationnel et politique (développement business, ambitions codir et budget).

Nous avons aussi emprunté à nos équipes agiles la notion de 3/6/9. A 3 mois, je sais ce que je fais et je m’engage. A 6 mois, je sais à peu près mais c’est moins net. A 9 mois, j’ai une ambition. Si on l’applique à notre équipe de management, notre « 9 » était nos objectifs annuels, en fonction de ceux de l’entreprise. Et notre « 3 » était nos objectifs sur chaque thématique pour les trois prochains mois. Nous avons laissé tomber le « 6 ». 🙂

Nous avons aussi adapté la notion d’objectif. Dans la culture de cette direction et pour mes managers en particulier, il était difficile de s’engager sur des objectifs non entièrement maîtrisables. Et sur ces sujets complexes qui dépendaient du groupe et non d’eux même, c’était largement le cas. Nous avons donc remplacé les mots « résultats attendus » par « on sera content si ». Cette tournure donnait un droit à l’erreur explicite, ce qui a permis de nous projeter dans quelque chose de plus ambitieux.

Nous avons au final synthétisé pour chaque thématique son objectif à trois mois avec des informations explicites sur le fond, mais aussi sur la manière de faire. Cela donnait : l’ambitions général, le résultat « on sera content si », l’état d’esprit dans lequel on souhaitait le faire, les actions majeures que l’on voyait, et les relations à entretenir.

Les thématiques et objectifs

Il ne restait plus qu’à définir le niveau de délégation sur chacune.

Le niveau de délégation

Pour partager et s’entendre sur le niveau de délégation, nous avons utilisé un outil du management 3.0, les cartes de délégation. Parce que la délégation n’est pas blanc ou noir mais s’exprime plutôt en niveaux de gris. En pratique cela a consisté à définir ensemble sur chaque sujet le niveau de délégation, entre 1 (je décide tout), à 7 (je ne suis même pas le sujet), en passant par le 4 (on décide ensemble).

Carte de délégation - Management 3.0

Sur les thématiques choisies, le niveau de délégation était majoritairement à 4 (on décide ensemble) et à 5 (je conseille et ils décident ensuite). Avec un 7 quand même, pour les sujets ou ils pouvaient être totalement autonomes. Les autres thématiques non déléguées étaient implicitement en 2 ou 3.

Tableau de délégation

L’organisation de l’équipe

Tout le système était basé sur l’équipe, comme en agilité, à part qu’il s’agissait d’une équipe de managers. La pluridisciplinarité était assurée, avec quatre responsables de départements opérationnels, trois responsables d’expertises, et une personne support transverse externe à la direction. Ainsi que moi, qui faisait partie de l’équipe comme les autres membres, sans statut particulier sur les thématiques déléguées.

Il y a aussi classiquement un product owner pour définir et prioriser ce qu’il y a à faire. Pour le coup nous avons décidé de ne pas en avoir, mais de prioriser collectivement nos sujets et actions. Car ce rôle ne devait pas être le mien. Sinon le groupe se serait cantonné à la réalisation de mes priorités. Alors qu’en décidant eux même de ce qui était important pour la direction, ils y gagneraient en compétence. Et nous y gagnerions sûrement en pertinence grâce à l’intelligence collective du groupe.

Un autre rôle clé est le scrummaster pour l’animation de l’équipe. Nous nous sommes estimés suffisamment matures et compétents pour en faire un rôle d’animateur tournant. 😉 En pratique cela s’est traduit par un membre ou deux chargés d’animer l’équipe pour les mois suivants. Et en complément nous faisions appel à un coach interne pour animer nos rétrospectives nous permettant de travailler sur notre amélioration d’équipe.

Pour contrebalancer quand même cette vision très collaborative, nous avons défini un référent par thématique. Vis à vis de l’externe à la direction, il était la personne identifiée sur le sujet et maintenait les liens. Vis à vis du groupe, il rythmait l’année et animait autour de sa thématique.

L’organisation au quotidien

Une fois les objectifs posés, le système reposait au quotidien sur une « réunion » hebdomadaire de 2h ou 3h. Il s’agissait d’un temps de travail en commun plus que d’une réunion classique.

Pour ce temps commun, nous décidions ensemble des sujets à aborder et du temps à y consacrer. Nous y travaillions ensuite tous ensemble ou en sous-groupe. Nous y partagions aussi les informations qui intéressaient le groupe, c’est à dire majoritairement celles concernant nos sujets transverses.

Le tout était suivi dans un board visuel d’avancement.

Board de pilotage du collège

En complément, tous les deux mois environ, nous faisions une rétrospective pour faire le point sur notre manière de fonctionner. Nous en tirions alors deux ou trois ajustements à mettre en place pour améliorer notre organisation.

Et tous les trimestres, nous mettions à jour nos objectifs à trois mois et notre tableau de délégation.

Quel bilan pour cette organisation ?

Cette organisation a été en place durant un an et demi, et la structure générale est restée la même. Elle fonctionnait donc. Nous avons bien sur mis en place des ajustements. Mais surtout nous avons ajouté des méthodes complémentaires de gouvernance de groupe, tirées principalement de la sociocratie ou de l’holacratie. Mais ça c’est une autre histoire.

Avec le recul qu’est-ce que cela nous a apporté ? Ce sera l’objet du 5ème et dernier épisode : Bilan et apprentissage…

Management collégial d’une direction,épisode 3 : compétences, légitimité et réseau

Management collégial d’une direction,
épisode 3 : compétences, légitimité et réseau

Cette série d’articles a pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.

Dans les épisodes précédents… « Après un an, mes N-1 et moi-même avions nos piliers communs. Mais cela ne résolvait pas le problème de charges et de résilience. Je voulais pour cela déléguer une partie de ces sujets transverses. C’est là qu’un petit accident a forcé une expérimentation de deux mois sans moi. Nous avons donc mis en place un binôme pour chaque thématique transverse à la direction. Conclusion: C’était intéressant mais un peu abrupt. »

Ce que l’on a appris (même si on le savait déjà), c’est qu’il ne s’agit pas de décréter la délégation pour qu’elle fonctionne. A mon retour nous avons donc effectué quelques améliorations sur ce qui avait manqué: des compétences, de la légitimité et du réseau.

Des compétences pratiques, et ce qu’il y a autour

Faire monter en compétence dans une délégation, cela semble naturel. A part que sur des postes de direction, ce ne sont pas toujours des compétences facilement explicites. Pour les compétences pratiques, on peut les transmettre en les formalisant. Mais c’est plus difficile pour les manières de faire, pour l’huile nécessaire aux rouages, les « soft skills » appliqués dans la vraie vie d’une entreprise.

Pour le côté pratique, cela a « juste » consisté à trouver ou écrire le(s) process de chaque thématique, par exemple sur la formation, le budget ou le lancement de nouveaux projets. Avec pour chacun, le volet interne à la direction et le volet plus global à l’entreprise. La formalisation a finalement été relativement simple, puisque nous avons fait une timeline avec ces deux aspects.

Mais cette timeline ne contenait pas que les actions pratiques, elle indiquait aussi les interactions informelles que j’avais habituellement sur ces sujets. L’enjeu était de conserver la relation win-win avec les différents interlocuteurs de ces process. Cette relation nous permettait à la fois de mieux comprendre leurs enjeux, et de mieux faire comprendre nos problématiques opérationnelles.

Une fois ces éléments posés, nous avons pu aborder le deuxième axe de progrès : transmettre la légitimité…. et le réseau qui va avec.

Transmettre la légitimité, et le réseau

Je mets sciemment légitimité et réseau ensemble, car la question s’est posée de savoir vis à vis de qui ils devaient être légitimes ? Nous avons pour cela identifié sur chaque sujet les personnes clés qui devaient les accepter comme mon équivalent.

J’ai aussi officialisé auprès des autres directions opérationnelles et des directions transverses, qui était en charge de quoi.

Mais comme la légitimité ne se « transmet » pas, ils ont dû aller la démontrer auprès des bonnes personnes. En pratique, ils ont pris leur bâton de pèlerin et ont passé du temps à travailler avec leurs nouveaux interlocuteurs. Et pour mesurer les effets, nous avions plusieurs critères: « est-ce qu’on répond autant à leurs mails qu’aux miens ? Est ce qu’on les appelle directement sans passer par moi ? »

Les progrès et les limites du modèle des binômes

Si je devais résumer cette étape, j’en retiendrais que cette délégation de sujets managériaux nous a demandé du travail autant sur les aspects pratiques que relationnels. Et à titre personnel cela m’a semblé bizarre d’expliciter ma manière de faire sur ces soft skills, mais finalement cela peut aussi se transmettre, s’apprendre et se développer. Et à l’arivée on peut dire que le système tournait.

Mais nous avons aussi touché les limites de cette organisation. La première était que chaque thématique était devenue un silo. La deuxième était que le binôme était souvent réduit à une seule personne. Les problèmes de cloisonnement et de silos n’étaient donc pas résolues. Cette situation était peut-être le reflet des profils de managers, des personnes ayant l’habitude d’être leaders et autonomes sur leurs sujets. C’est d’ailleurs pour cela que ça en fait de bons managers. Hors dans ce cas, je leur demandais de co-piloter une direction, d’être une partie d’un tout. Et ce n’est pas forcément naturel au départ, je suis la première à le savoir.

Un autre aspect était que l’enthousiasme avait commencé à se tasser. Peut être que la motivation était moins la pour certains, puisque j’étais revenue. Peut-être que la force de l’habitude avait renvoyé mes pairs naturellement vers moi. Peut-être que moi aussi sans m’en rendre compte j’avais repris la main sur certaines choses.

Bref nous ne pouvions en rester la.

Et après ?

Le déclic est venu de mes N-1, quand je leur ai annoncé que je réfléchissais à ma prochaine étape professionnelle et que j’allais potentiellement être moins présente dans les prochains mois. Ils ont peut-être senti une sorte d’urgence à trouver quelque chose qui allait fonctionner en partie sans moi.

Et les meilleures solutions venant du terrain, ils ont proposé un pilotage collégial.

La suite dans l’épisode 4…

Management collégial d’une direction,épisode 2 : le saut dans le vide

Management collégial d’une direction,
épisode 2 : le saut dans le vide

Pour ceux qui ont raté l’épisode précédent, cette série d’articles a pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice.

Dans l’épisode 1, alignement et travail en commun, je vous ai raconté mon année de directrice à trois casquettes. Leader pour poser mes règles et mes valeurs. Informative pour donner toute l’information que j’avais à mes N-1. Animatrice pour les faire travailler ensemble sur des sujets opérationnels. Nous avions alors un bon socle pour continuer : cadre commun, même niveau d’information et expérience du travail en équipe.

Mais continuer vers quoi ? Pour l’instant je n’avais encore en tête que de dynamiser et décloisonner la direction. Et pour cela le management participatif dirigé mis en place aurait pu suffire. Qu’est ce qui a déclenché l’étape suivante et quel a été le première système de délégation ? C’est le sujet de cet épisode.

Aujourd’hui, épisode 2, le saut dans le vide.

Rythme non soutenable et manque de résilience

Après une année à ce rythme, je vous avoue que j’étais un peu fatiguée… et pourtant ceux qui me connaissent savent que je ne manque pas d’énergie. Comment faire alors en sorte que ce dynamisme transverse continue tout en étant plus écologique pour moi ?

La deuxième problématique était celle de la résilience. A savoir que si je n’étais pas là, même si chaque silo continuerait à tourner opérationnellement, la transversalité n’y survivrait sans doute pas. Hors je voulais l’intégrer dans la culture de mes N-1. Pour que le jour où je partirai, elle reste.

Et pour répondre à cette problématique d’écologie personnelle et de résilience, la réponse paraissait évidente : il fallait déléguer.

Mais si je déléguais un sujet transverse à un seul de mes N-1, comment allait-t-il être légitime vis-à-vis des autres ? Et sur quels critères allais-je décider à qui je délègue quoi ? J’aurais pu évidemment faire ces choix, mais je voulais aussi qu’ils se sentent engagés individuellement et en tant qu’équipe dans ce que nous allions mettre en place.

Et pour engager les gens, la meilleure solution que je connaisse est de leur demander leur avis.

« Imaginez que je ne suis pas la pendant trois mois, comment vous organisez-vous ? »

Mais comment initier le sujet ? Comment le faire avec suffisamment d’impact pour qu’ils s’y projettent vraiment et réfléchissent différemment ? Avec la question suivante : « Imaginez que je ne suis pas la pendant 3 mois, comment vous organisez-vous ? ».

Leur première étape a été de lister ce que je faisais à leur avis. Et j’étais contente de voir que je ne faisais pas rien à leurs yeux. 😉 Cela a donné les thématiques suivantes : recrutement, formation, animation, management, organisation, projets, budget et ambitions d’entreprise. C’était en effet des sujets dont le pilotage et le suivi étaient transverses à la direction et animés par moi.

La deuxième étape a été de savoir comment gérer ces sujets si je n’étais pas là ? Sans surprise, la première piste a été : « On nomme un remplaçant parmi nous ». Mais l’idée ne les enchantait pas, ni pour celui qui allait avoir toute la charge, ni pour les autres qui n’auraient participé à rien.

Ils ont donc proposé qu’il y ait un binôme sur chaque thématique. Simple, facile à mettre en oeuvre, un premier petit pas intéressant à tester en tout cas. Pour l’instant le plan restait théorique.

Un poignet en moins, deux mois de mise en pratique

La synchronicité existe, ou le monde est bien fait (enfin pas tant que ça pour le coup), mais il se trouve qu’un mois plus tard, je me suis cassée le poignet, deux mois d’arrêt… Et mise en pratique immédiate du plan.

Il se sont donc répartis les thématiques, avec un binôme sur chaque, et c’était parti pour deux mois… Sans préavis ni phase de passation, un vrai saut dans le vide.

Je vous rassure, l’opérationnel de chacun a continué à tourner. Mais ça je n’en doutais pas. La question était de savoir comment ça s’était passé sur les thématiques transverses ? Et pour le savoir, rien ne valait une rétrospective: qu’est ce qui a bien marché ? Où est ce que ça a été plus dur ? Qu’est ce qu’on doit améliorer la prochaine fois?

Conclusion: le saut dans le vide, c’est un peu abrupt

Le premier retour était que c’était intéressant. Déjà c’était une bonne chose. ;-). De savoir que ça les avait intéressés, que ça les avaient sortis de leur vie courante, qu’ils avaient appris des choses. Je pense aussi que cette expérience leur a donné envie d’aller plus loin. Evidemment pas à tous, mais à suffisamment pour continuer.

Le deuxième retour était qu’ils manquaient de légitimité vis-à-vis des fonctions transverses externes à la direction. Je ne sais pas si c’était réel ou une perception, mais j’imagine que les personnes en face devaient se demander si ils pouvaient parler au nom de toute la direction et si ce qu’ils disaient n’allaient pas être remis en cause à mon retour.

Ce manque de légitimité se retrouvait aussi vis-à-vis de mes pairs, les autres directeurs. Nous étions dans une entreprise hiérarchique classique, mais surtout une entreprise de réseau, où beaucoup de choses reposaient sur le fait que les gens se connaissaient. J’aime beaucoup ce genre de culture d’entreprise, mais c’est vrai que quand vous n’avez pas le réseau, tout de suite c’est plus dur.

Le troisième retour était qu’ils manquaient de compétences. En effet les process existaient mais n’étaient pas documentés forcément tous explicitement, ou alors ils manquaient des étapes « informelles » mais importantes pour que ça marche.

La suite ? Montée en compétence, légitimité et réseau

Avec ces trois retours, et comme dans toute rétrospective qui se respecte, nous sommes sortis avec des sujets à améliorer : les compétences, la légitimité et le réseau. Ce sera l’objet de l’épisode 3…

Management collégial d’une direction,épisode 1 : alignement et travail commun

Management collégial d’une direction,
épisode 1 : alignement et travail commun

Comment une équipe de managers a fini par piloter sa direction sans sa directrice? C’est l’histoire que je vais vous raconter dans cette série d’articles.

Pourquoi vous la raconter? Parce que je crois en l’autonomie et au collectif, parce que ce mode de fonctionnement a vraiment marché, parce que cette expérience m’est encore utile aujourd’hui, parce que ça a fait progresser tous les participants et parce que franchement en plus c’était fun.

Mais je l’écris aussi parce que cette mise en place a pris du temps, que nous avons passé des étapes les unes après les autres, que nous avons aussi tenté des choses qui n’ont pas marché, et que si cette expérience peut servir un jour à d’autres, ça vaut le coup de l’écrire.

Mais qu’est-ce que c’est qu’un pilotage collégial ? C’est un pilotage commun et solidaire par une équipe au lieu d’une personne. Evidemment il existe des méthodologies de pilotage par une équipe. On les retrouve dans l’holacratie ou dans les équipes agiles par exemple, et le système final mis en place s’en inspire. Mais plus que des techniques à appliquer, le but est de vous raconter les étapes que l’équipe a franchie pour en avoir envie et besoin, comment elle y est arrivée au final, ainsi que les impacts sur ses relations avec le reste de l’entreprise.

Aujourd’hui, épisode 1 : Année 1, alignement et travail en commun

C’est l’histoire d’une direction

Cette histoire c’est avant tout l’histoire d’une rencontre. Entre moi et ma nouvelle direction. Enfin, nouvelle… pas vraiment. Une direction de développement informatique bien installée, avec 150 collaborateurs, 15 équipes agiles, quatre responsables de départements opérationnels et trois responsables de départements transverses, tous là depuis déjà plusieurs années. J’ai hérité de cette direction comme on hérite d’un château de famille, quelque chose d’historique, de solide, sur lequel on peut compter, qui fonctionne, mais aussi avec ses traditions et ses murs autour.

J’ai abordé ce nouveau poste comme une prise de poste habituelle, en commençant par une phase d’observation. Qu’est-ce qu’ils font en vrai ? Comment ils travaillent ? Est-ce que ça fonctionne? Et rapidement, il m’a semblé évident que je n’avais pas besoin d’apprendre leur métier à mes N-1 et que chacune de leur activité tournait.

C’est le premier élément structurant que je retiendrais : le pilotage collégial n’a pu fonctionner deux ans plus tard que parce que chacun de mes N-1 était déjà en très bonne maîtrise de son poste. Sinon ils n’auraient surement pas pu s’intéresser à autre chose qu’à leur propre silo.

Quel était mon objectif en reprenant cette direction ? Est-ce que j’avais déjà en tête de mettre en place un pilotage collégial par mes N-1 ? Honnêtement non, et cette idée n’arrivera qu’en début d’année 2. Mais cette année 1 est suffisamment structurante pour que l’on débute l’histoire à ce moment là. En année 1, mon objectif était juste de redynamiser la direction, de l’orienter dans le sens de l’entreprise, et de l’ouvrir sur les autres directions. Parce qu’un système qui reste entre soi et qui n’évolue plus, au bout d’un moment ça meurt….

Objectif: Dynamiser et décloisonner en apprenant à travailler ensemble

Pour créer du dynamisme, je voulais déjà décloisonner les départements entre eux, pour en faire quelque chose de plus large et vivant.  A part que ce besoin ne sautait pas aux yeux de mes N-1… A chaque fois que j’en parlais, je voyais le scepticisme arriver, comme quoi ce n’était pas nécessaire, voire dangereux.

Voyant que ça ne leur parlait pas, je n’ai pas essayé de les embarquer sur le fond et je suis passée par une autre voie : juste les faire travailler ensemble sur des projets concrets. J’ai pour cela défini (unilatéralement) les chantiers de la direction, là où je pensais que la direction devait s’améliorer en grand: recrutement, lancement de nouveaux projets, formations, gestion des compétences….. Et nous allions travailler ensemble au niveau direction sur ces chantiers, et non plus au niveau département, avec des tableaux de suivi dans mon bureau. Nous n’étions pas du tout en pilotage collégial, plutôt en animation centralisée, et nous allions déjà essayer de travailler ensemble sur ces sujets opérationnels.

Et pour que l’on apprenne à travailler ensemble, j’ai combiné plusieurs casquettes : la directive, l’informative et l’animatrice

La casquette directive, pour définir le cadre

Pour que tout le monde travaille ensemble vers les mêmes ambitions, il me fallait poser le cadre. Et pour cette première année le cadre a été très top down, c’est à dire défini par moi.

En plus des thématiques sur lesquelles nous devions avancer, le cadre portait sur les valeurs. Là-dessus je crois toujours qu’une équipe est influencée par son manager. En l’occurrence là j’ai organisé cette influence consciemment, car c’était un moyen pour moi de pouvoir déléguer sereinement ensuite.

J’ai pour cela quelques règles personnelles auxquelles je tiens, dans le sens « My Team, My Rules ». Pas beaucoup, juste quelques-unes qui sont importantes pour moi. Par exemple que nous devons transparence à nos clients, fournisseurs, autres directions… Et ce n’est pas négociable.

Bien sûr tout au long de cette année 1, nous avons ensuite ajusté ou ajouté d’autres règles et principes de travail entre nous, ce qui fait qu’au final nous avions un cadre commun et plus seulement le top down initial.

Une fois les ambitions choisies et les règles posées, il a fallu expliquer et surtout convaincre de la direction dans laquelle aller.

La casquette informative, pour expliquer

Pour être d’accord avec quelqu’un, ou au moins comprendre son point de vue, je suis persuadée qu’il faut d’abord partager le même niveau d’information. Et dans une entreprise hiérarchique, le directeur a accès à beaucoup d’information sans même s’en apercevoir. Durant cette année 1, j’ai donc beaucoup, beaucoup, beaucoup parlé.

Les réunions d’équipes consistaient surtout à ce que je leur raconte les discussions du comité de directions, et que je leur transmette toutes les infos que j’avais. Pour qu’ils s’approprient le pourquoi des décisions prises au-dessus, qu’ils connaissent ce qu’il se passe ailleurs, qu’ils comprennent les relations entre les différents éléments de l’entreprise. J’ai donc fait beaucoup de monologues…

Ce niveau de connaissance commun a permis qu’ils comprennent pourquoi nous allions dans ce sens, et que nous ayons les mêmes informations pour décider ensemble. Je ne dis pas que cela règle le problème des décisions communes, mais cela y contribue.

La casquette d’animatrice-protectrice, pour travailler ensemble

Je suis aussi devenue le GO du groupe de mes N-1, pour les faire travailler ensemble sur des sujets communs. J’ai donc organisé pas mal de sessions de travail en commun: définition des postes pour le recrutement, sélection commune de candidats, ateliers de priorisation de formation, « people review » sur la revue des compétences, pour finir même par une revue commune des augmentations.

Durant ces discussions, il a fallu là encore s’aligner : sur quelle base priorise-t-on telle ou telle formation, comment nomme-t-on les niveaux de compétences et à quoi ils correspondent ? Sur ces discussions stratégiques j’animais beaucoup, même si je continuais à impulser certaines directions.

Il a fallu aussi permettre à chacun de s’exprimer sur son « silo » sans se sentir juger par les autres, installer une sorte de sécurité psychologique. Là aussi mon rôle a surtout été de donner la parole aux plus réservés et méfiants, et de reformuler objectivement les réactions des plus énergiques. J’avais la chance d’avoir une équipe ou chacun faisait attention, ce qui a largement simplifié cet aspect là.

Et enfin il a fallu apprendre à décider ensemble. Cela m’a appris à partager la décision, même si à l’époque ma voix comptait plus que celle des autres.

A la fin de l’année 1, un groupe qui sait travailler ensemble… avec un manager leader/animateur

A la fin de cette première année, nous avions donc un groupe de managers qui avaient réussi à recruter, à prioriser des formations, à lancer des nouveaux projets, et qui avaient même fini par décider ensemble des augmentations.

Tout cela n’a été possible que parce que nous avions des règles et valeurs communes, un même niveau d’information, et quelqu’un pour organiser le travail en commun.

On aurait presque pu croire à un pilotage collégial. En fait pas vraiment, nous étions plutôt comme une équipe d’aviron, en ligne mais avec moi qui rame devant.

Car tout reposait sur mes épaules de directrice : la direction vers laquelle on allait, les informations à disposition du groupe, l’animation du groupe pour avancer et d’autres choses dont je ne me rendais pas encore compte.

Toutes ces choses, nous nous en sommes rendu compte en passant à l’étape 2, la même chose mais avec un peu moins de directrice. A venir dans l’épisode 2…