Cette série d’articles a pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.

Dans les épisodes précédents… « Après un an, mes N-1 et moi-même avions nos piliers communs. Mais cela ne résolvait pas le problème de charges et de résilience. Je voulais pour cela déléguer une partie de ces sujets transverses. C’est là qu’un petit accident a forcé une expérimentation de deux mois sans moi. Nous avons donc mis en place un binôme pour chaque thématique transverse à la direction. Conclusion: C’était intéressant mais un peu abrupt. »

Ce que l’on a appris (même si on le savait déjà), c’est qu’il ne s’agit pas de décréter la délégation pour qu’elle fonctionne. A mon retour nous avons donc effectué quelques améliorations sur ce qui avait manqué: des compétences, de la légitimité et du réseau.

Des compétences pratiques, et ce qu’il y a autour

Faire monter en compétence dans une délégation, cela semble naturel. A part que sur des postes de direction, ce ne sont pas toujours des compétences facilement explicites. Pour les compétences pratiques, on peut les transmettre en les formalisant. Mais c’est plus difficile pour les manières de faire, pour l’huile nécessaire aux rouages, les « soft skills » appliqués dans la vraie vie d’une entreprise.

Pour le côté pratique, cela a « juste » consisté à trouver ou écrire le(s) process de chaque thématique, par exemple sur la formation, le budget ou le lancement de nouveaux projets. Avec pour chacun, le volet interne à la direction et le volet plus global à l’entreprise. La formalisation a finalement été relativement simple, puisque nous avons fait une timeline avec ces deux aspects.

Mais cette timeline ne contenait pas que les actions pratiques, elle indiquait aussi les interactions informelles que j’avais habituellement sur ces sujets. L’enjeu était de conserver la relation win-win avec les différents interlocuteurs de ces process. Cette relation nous permettait à la fois de mieux comprendre leurs enjeux, et de mieux faire comprendre nos problématiques opérationnelles.

Une fois ces éléments posés, nous avons pu aborder le deuxième axe de progrès : transmettre la légitimité…. et le réseau qui va avec.

Transmettre la légitimité, et le réseau

Je mets sciemment légitimité et réseau ensemble, car la question s’est posée de savoir vis à vis de qui ils devaient être légitimes ? Nous avons pour cela identifié sur chaque sujet les personnes clés qui devaient les accepter comme mon équivalent.

J’ai aussi officialisé auprès des autres directions opérationnelles et des directions transverses, qui était en charge de quoi.

Mais comme la légitimité ne se « transmet » pas, ils ont dû aller la démontrer auprès des bonnes personnes. En pratique, ils ont pris leur bâton de pèlerin et ont passé du temps à travailler avec leurs nouveaux interlocuteurs. Et pour mesurer les effets, nous avions plusieurs critères: « est-ce qu’on répond autant à leurs mails qu’aux miens ? Est ce qu’on les appelle directement sans passer par moi ? »

Les progrès et les limites du modèle des binômes

Si je devais résumer cette étape, j’en retiendrais que cette délégation de sujets managériaux nous a demandé du travail autant sur les aspects pratiques que relationnels. Et à titre personnel cela m’a semblé bizarre d’expliciter ma manière de faire sur ces soft skills, mais finalement cela peut aussi se transmettre, s’apprendre et se développer. Et à l’arivée on peut dire que le système tournait.

Mais nous avons aussi touché les limites de cette organisation. La première était que chaque thématique était devenue un silo. La deuxième était que le binôme était souvent réduit à une seule personne. Les problèmes de cloisonnement et de silos n’étaient donc pas résolues. Cette situation était peut-être le reflet des profils de managers, des personnes ayant l’habitude d’être leaders et autonomes sur leurs sujets. C’est d’ailleurs pour cela que ça en fait de bons managers. Hors dans ce cas, je leur demandais de co-piloter une direction, d’être une partie d’un tout. Et ce n’est pas forcément naturel au départ, je suis la première à le savoir.

Un autre aspect était que l’enthousiasme avait commencé à se tasser. Peut être que la motivation était moins la pour certains, puisque j’étais revenue. Peut-être que la force de l’habitude avait renvoyé mes pairs naturellement vers moi. Peut-être que moi aussi sans m’en rendre compte j’avais repris la main sur certaines choses.

Bref nous ne pouvions en rester la.

Et après ?

Le déclic est venu de mes N-1, quand je leur ai annoncé que je réfléchissais à ma prochaine étape professionnelle et que j’allais potentiellement être moins présente dans les prochains mois. Ils ont peut-être senti une sorte d’urgence à trouver quelque chose qui allait fonctionner en partie sans moi.

Et les meilleures solutions venant du terrain, ils ont proposé un pilotage collégial.

La suite dans l’épisode 4…