Cette série d’articles avait pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.

Dans les épisodes précédents, je vous ai raconté nos différentes étapes. Et au bout de deux ans, mon équipe de N-1 pilotait effectivement la direction sans moi ou presque. Aujourd’hui dernier épisode : voici ce que je retiens de cette expérience.

#1 – A la base, un terreau fertile

Est-ce que ce mode de fonctionnement est reproductible partout ? Je ne sais pas. Je sais par contre qu’il était adapté au terrain de départ avec :

  • Des N-1 en maîtrise de leurs postes, qui avaient donc la disponibilité d’esprit de s’intéresser à plus grand que leur propre département.
  • Un manager prêt à laisser de la place, voire sa place.
  • Un N+1 et un N+2 ouverts aux nouveaux modes de management.

Ces éléments ne sont peut-être pas tous indispensables, mais, en tout cas, je me dis que ça vaut le coup de les regarder.

#2 – Au final, un système simple mais organisé

L’organisation finale était un collège de pilotage constitué de mes N-1 et d’une personne transverse, fonctionnant avec des méthodes et des principes tirés de l’agilité :

  • Une vision à 9 mois et des objectifs à 3 mois.
  • Un board de suivi de ses objectifs, animé collégialement.
  • Un espace-temps de 3h par semaine pour s’échanger les informations utiles et travailler ensemble.
  • Des rétrospectives tous les trois mois pour faire le bilan de notre manière de fonctionner et nous améliorer.

Dis comme ça, cela parait tout simple… C’est vrai. Mais c’était aussi très organisé. La chance que nous avions était de maîtriser ces méthodologies et leurs principes sous-jacents, et de pouvoir les utiliser de manière fluide.

#3 – Investir dans l’équipe

Le développement de l’équipe elle-même a compté autant que l’organisation. Au départ les membres de l’équipe s’entendaient heureusement bien, mais ils ne travaillaient pas vraiment ensemble.

Il a donc fallu définir des sujets communs, pour qu’ils développent leur propre mode de travail collaboratif.

Il a aussi fallu profiter de chaque sujet pour demander l’avis de chacun, même si cela ne concernait pas son périmètre, afin de créer une dynamique collective. Le tout évidemment en toute bienveillance et avec le respect des opinions divergentes.

Tout cela a permis de passer des bonnes relations à la confiance, incluant la permission de donner son avis et de le recevoir.

#4 – L’information c’est capital

En commençant, je ne me rendais pas compte de la masse d’information que j’avais et qu’ils n’avaient pas. Et c’était cette information qui me permettait de comprendre et de décider. Au début, j’ai donc passé beaucoup de temps à communiquer, avant même de mettre en place la délégation.

Puis, avec la délégation et la décentralisation des points de contact, ils ont eu chacun accès à de l’information. Le partage efficace de ces informations est devenu une de nos préoccupations, en temps réel et lors de nos séances de travail hebdomadaire.

#5 – Mon équipe, mes valeurs, mes règles

Ce titre pourrait paraitre dictatorial, mais c’est pour moi la base de la délégation. Car la délégation n’empêche pas ma responsabilité d’être engagée. J’avais donc besoin d’être rassurée sur le fait qu’ils allaient respecter certains points importants pour moi.

Il ne s’agissait pas d’avoir beaucoup de règles, ni qu’elles soient précises sur comment faire les choses, mais plutôt de partager des principes et valeurs communes. Avec ça, j’avais ensuite entièrement confiance. Et peut-être cela a aussi servi à mes N-1 de sécurité pour avancer.

Ces principes ont ensuite été enrichis par le groupe, comme une sorte de culture collective qui a évolué progressivement.

#6 – Une légitimité et un réseau à transférer

Dans la délégation, j’avais à peu près en tête les éléments factuels qu’il fallait que je transfère, tels que la connaissance de certains process. J’avais par contre moins anticipé les éléments moins tangibles que sont la légitimité et le réseau, principalement sur ce qui concernait les relations du groupe vers l’extérieur à la direction.

Avec le recul, je dirais qu’il a fallu des actions de ma part au bon moment, avec les annonces officielles aux bonnes personnes, et les présentations et le binômage au début. Et surtout beaucoup de volontarisme et de temps investi de la part de ceux qui récupéraient les sujets pour recréer les relations.

#7 – Des animateurs et des participants

Avec le temps, il est apparu que tout le monde n’avait pas le même investissement au même moment. Cela dépendait principalement des sujets et de l’état de leur propre département. Quand c’est la crise chez soi, forcément on n’a moins le temps pour le reste.

Et le groupe s’est là-aussi adapté. Il y avait au final des « animateurs » et des « participants ». Ils discutaient de leurs disponibilités sur les 3 mois suivants pour savoir qui allait être dans le groupe d’animation et qui allait être uniquement participants.

#8 – Un système résilient

Le système précédent ne pouvait pas reposer sur une seule personne en termes de charge. Mes N-1 ont bien sur récupéré une partie de cette charge, mais celle-ci était adaptable sur l’ensemble du groupe en fonction des disponibilités de chacun.

De plus, avec cette organisation, la direction n’était plus dépendante d’une personne. Elle pouvait tourner et s’améliorer sans ma présence, et sans forcément la présence de tout le groupe.

Cela a aussi permis de réduire les silos même si chacun a gardé son département. Nous avons désiloté là ou il y avait un intérêt : pour être plus agile dans la création de nos nouvelles équipes ou pour offrir à nos collaborateurs des mobilités plus facilement.

A plus long terme cela a aussi permis de gérer certains transferts de domaines plus facilement, car le monde de l’autre n’était pas totalement inconnu et peut être moins différent.

#9 – Il y a des choses que je n’ai jamais déléguées

Parce que nous n’avons pas eu le temps ? Parce que certains sujets ne se délèguent pas ? Parce que déjà c’était pas mal ? Sûrement un peu de tout ça…

J’ai donc conservé les sujets stratégiques liés à la politique du grand groupe dans laquelle nous étions. Là, pour le coup, cela me semblait très compliqué de transmettre la légitimité et le réseau.

Il y avait aussi les sujets concernant l’entreprise dans son ensemble, qui étaient traités avec le comité de direction. On pourrait dire que j’ai délégué ma casquette de directrice d’une entité, mais pas mon rôle de membre du groupe de direction.

#10 – Et les mauvais côtés ?

Est ce qu’il y avait des mauvais côtés ? Sûrement le temps passé à partager et décider. Mais finalement c’était souvent du temps de perdu pour en gagner plus tard. Par exemple partager ensemble sur les compétences de nos collaborateurs nous a permis de lancer un projet urgent beaucoup plus rapidement.

Et plus globalement sur le sujet de l’efficacité collective, c’était un vrai sujet et nous nous sommes beaucoup améliorés au fil du temps :-).

Le mot de la fin

Ici se clôture cette série d’articles, j’espère que vous en retirerez deux ou trois choses intéressantes pour vous. Pour ma part, ce fut une belle aventure humaine et organisationnelle, et je suis très contente de l’avoir vécue 🙂 .

Pour finir je voudrais ici remercier mes anciens N-1 qui se sont lancés dans cette aventure avec moi, mon chef qui m’a permis de le faire, mes collègues membres du codir qui ont accepté cette nouveauté sans juger, les équipes transverses qui se sont adaptées à ce nouveau système, les coachs agiles qui nous ont aidé dans nos réflexions et dans nos améliorations, et plus globalement feu VSCT, qui était quand même un cadre idéal pour travailler.

Si vous voulez retrouver les détails c’est ici :

  • Episode 1: Créer le groupe, ses informations communes et ses valeurs.
  • Episode 2: Tester la délégation en 1 à 1.
  • Episode 3: Améliorer les compétences de chacun, son réseau et sa légitimité.
  • Episode 4: Mettre en place une organisation collégiale avec des principes et méthodes agiles.