Cette série d’articles a pour but de raconter une expérience de management collégial, ou comment des managers ont fini par piloter une direction sans leur directrice, moi en l’occurrence.
Dans les épisodes précédents… « Après un an de reprise de la direction, mes N-1 et moi-même avions nos piliers communs. Mais cette organisation collaborative me demandait trop d’énergie et ne reposait que sur moi. Nous avons alors testé un binôme par thématique transverse, en améliorant leurs compétences pratiques ainsi que leur légitimité et le réseau. Au final cela fonctionnait, mais au lieu des binômes nous avions une seule personne en charge, et chaque thématique était devenue un silo à elle toute seule…»
Nous aurions pu en rester là, avec une délégation de certains sujets à des personnes précises. Mais le système n’aurait pas fonctionné sans moi pour faire le liant. Et avec ma prochaine étape professionnelle, j’allais être de moins en moins présente. Cette situation a déclenché chez mes N-1 une prise de conscience : Il fallait qu’ils s’organisent ensemble.
Une proposition venant du groupe
Dire que tout le groupe était moteur pour proposer quelque chose serait surement exagéré. Disons que deux personnes étaient motivées à proposer quelque chose, quatre à y participer, et deux à suivre si vraiment il le fallait. On retrouve finalement une courbe classique de changement, avec les moteurs, la majorité silencieuse et les plus difficiles. La différence était que le groupe était suffisamment constitué pour que la majorité veuille quand même participer à la réflexion, et que les difficiles ne freinent pas l’initiative. Parce que la confiance au sein du groupe était là.
Donc ils ont réfléchi sans moi. Je leur ai bien sur demandé s’ils voulaient que je participe aux réflexions, mais non. De mon côté cela m’allait aussi, car ils avaient suffisamment expérimenté pour savoir de quoi ils parlaient. Ils avaient donc toute ma confiance.
Un collège de management avec les principes d’une équipe agile
Leur proposition a été d’appliquer les principes d’une équipe agile à eux même et d’en fait un collège de pilotage. C’était à la fois simple et nouveau. Simple parce que nous connaissions par cœur les méthodes et principes d’une équipe agile. Nouveau parce que nous ne les avions encore jamais appliqués à une équipe de management.
Je ne vous ferai pas ici un cours sur l’agilité, et je ne rentrerai pas non plus dans les débats philosophiques de ce que c’est. Nous ne voulions de toute façon pas appliquer quelque chose « by the book», mais prendre des principes et méthodes qui nous semblaient pertinents dans notre situation. En pratique, nous sommes principalement appuyés sur la méthodologie scrum.
Aurions-nous pu choisir d’autres méthodologies ? Bien sûr. Mais le but n’était pas de trouver LA meilleure solution, mais une solution acceptable et applicable qui nous fasse progresser dans le bon sens. C’est ainsi que nous avons commencé à appliquer le premier principe agile : essayer, inspecter, s’améliorer.
La définition de nos objectifs
Un autre principe que nous avons pris est de ne pas vouloir tout faire dès le début, mais de nous concentrer sur une partie et de bien la faire. Le collège a donc commencé par sélectionner les sujets qu’il allait prendre en premier (recrutement, formations, animation de la direction…). J’ai gardé les autres, peut être plus complexes au niveau relationnel et politique (développement business, ambitions codir et budget).
Nous avons aussi emprunté à nos équipes agiles la notion de 3/6/9. A 3 mois, je sais ce que je fais et je m’engage. A 6 mois, je sais à peu près mais c’est moins net. A 9 mois, j’ai une ambition. Si on l’applique à notre équipe de management, notre « 9 » était nos objectifs annuels, en fonction de ceux de l’entreprise. Et notre « 3 » était nos objectifs sur chaque thématique pour les trois prochains mois. Nous avons laissé tomber le « 6 ». 🙂
Nous avons aussi adapté la notion d’objectif. Dans la culture de cette direction et pour mes managers en particulier, il était difficile de s’engager sur des objectifs non entièrement maîtrisables. Et sur ces sujets complexes qui dépendaient du groupe et non d’eux même, c’était largement le cas. Nous avons donc remplacé les mots « résultats attendus » par « on sera content si ». Cette tournure donnait un droit à l’erreur explicite, ce qui a permis de nous projeter dans quelque chose de plus ambitieux.
Nous avons au final synthétisé pour chaque thématique son objectif à trois mois avec des informations explicites sur le fond, mais aussi sur la manière de faire. Cela donnait : l’ambitions général, le résultat « on sera content si », l’état d’esprit dans lequel on souhaitait le faire, les actions majeures que l’on voyait, et les relations à entretenir.
Il ne restait plus qu’à définir le niveau de délégation sur chacune.
Le niveau de délégation
Pour partager et s’entendre sur le niveau de délégation, nous avons utilisé un outil du management 3.0, les cartes de délégation. Parce que la délégation n’est pas blanc ou noir mais s’exprime plutôt en niveaux de gris. En pratique cela a consisté à définir ensemble sur chaque sujet le niveau de délégation, entre 1 (je décide tout), à 7 (je ne suis même pas le sujet), en passant par le 4 (on décide ensemble).
Sur les thématiques choisies, le niveau de délégation était majoritairement à 4 (on décide ensemble) et à 5 (je conseille et ils décident ensuite). Avec un 7 quand même, pour les sujets ou ils pouvaient être totalement autonomes. Les autres thématiques non déléguées étaient implicitement en 2 ou 3.
L’organisation de l’équipe
Tout le système était basé sur l’équipe, comme en agilité, à part qu’il s’agissait d’une équipe de managers. La pluridisciplinarité était assurée, avec quatre responsables de départements opérationnels, trois responsables d’expertises, et une personne support transverse externe à la direction. Ainsi que moi, qui faisait partie de l’équipe comme les autres membres, sans statut particulier sur les thématiques déléguées.
Il y a aussi classiquement un product owner pour définir et prioriser ce qu’il y a à faire. Pour le coup nous avons décidé de ne pas en avoir, mais de prioriser collectivement nos sujets et actions. Car ce rôle ne devait pas être le mien. Sinon le groupe se serait cantonné à la réalisation de mes priorités. Alors qu’en décidant eux même de ce qui était important pour la direction, ils y gagneraient en compétence. Et nous y gagnerions sûrement en pertinence grâce à l’intelligence collective du groupe.
Un autre rôle clé est le scrummaster pour l’animation de l’équipe. Nous nous sommes estimés suffisamment matures et compétents pour en faire un rôle d’animateur tournant. 😉 En pratique cela s’est traduit par un membre ou deux chargés d’animer l’équipe pour les mois suivants. Et en complément nous faisions appel à un coach interne pour animer nos rétrospectives nous permettant de travailler sur notre amélioration d’équipe.
Pour contrebalancer quand même cette vision très collaborative, nous avons défini un référent par thématique. Vis à vis de l’externe à la direction, il était la personne identifiée sur le sujet et maintenait les liens. Vis à vis du groupe, il rythmait l’année et animait autour de sa thématique.
L’organisation au quotidien
Une fois les objectifs posés, le système reposait au quotidien sur une « réunion » hebdomadaire de 2h ou 3h. Il s’agissait d’un temps de travail en commun plus que d’une réunion classique.
Pour ce temps commun, nous décidions ensemble des sujets à aborder et du temps à y consacrer. Nous y travaillions ensuite tous ensemble ou en sous-groupe. Nous y partagions aussi les informations qui intéressaient le groupe, c’est à dire majoritairement celles concernant nos sujets transverses.
Le tout était suivi dans un board visuel d’avancement.
En complément, tous les deux mois environ, nous faisions une rétrospective pour faire le point sur notre manière de fonctionner. Nous en tirions alors deux ou trois ajustements à mettre en place pour améliorer notre organisation.
Et tous les trimestres, nous mettions à jour nos objectifs à trois mois et notre tableau de délégation.
Quel bilan pour cette organisation ?
Cette organisation a été en place durant un an et demi, et la structure générale est restée la même. Elle fonctionnait donc. Nous avons bien sur mis en place des ajustements. Mais surtout nous avons ajouté des méthodes complémentaires de gouvernance de groupe, tirées principalement de la sociocratie ou de l’holacratie. Mais ça c’est une autre histoire.
Avec le recul qu’est-ce que cela nous a apporté ? Ce sera l’objet du 5ème et dernier épisode : Bilan et apprentissage…